Sous le quinquennat de F. Hollande une loi pour la transparence de la vie publique a été promulguée. Celle-ci prévoyait notamment que le patrimoine des élus soit rendu public. Cette loi a provoqué contestations et questionnements au sein de la classe politique autant qu’au sein de la population. Il fut alors question de connaître l’intérêt d’une telle transparence mais aussi de reconnaître les méfaits qui pouvaient en émaner.
La transparence se définit en physique comme la capacité d’un objet à se laisser traverser par la lumière. Il est intéressant de noter qu’aucun objet n’est totalement transparent. En sciences sociales la transparence se définit comme la diffusion d’informations relatives aux différents domaines de la politique et de la société ainsi qu’au rapport entre gouvernants et gouvernés. Au XXIè siècle, siècle consacré comme étant celui de la technologie et d’internet, la question de la transparence ne se limite pas seulement à l’organisation collective de la vie en société mais peut aussi s’étendre à l’individu. En effet si un citoyen peut-être en droit de demander des comptes aux gouvernants sur les politiques choisies, l’inverse est aussi envisageable.
La société moderne, évoque une certaine singularité et une unicité dans la typologie des systèmes de gouvernement et des sociétés qui leurs sont rattachées. Pourtant, même en son sein ceux-ci sont multiples. La société suédoise diffère en effet grandement de la société italienne pourtant toutes deux sont qualifiées de modernes. La société moderne s’oppose alors à la société traditionnelle et pré-industrielle, elle se concrétise après cette dernière ; elle a comme pendant la démocratie -ou du moins son extension- , l’Etat de droit, la rationalisation du pouvoir et partiellement la mondialisation et l’une de ses conséquences principales : l’interdépendance croissante des Etats. On peut aussi délimiter temporellement ce qu’on entend par société moderne à savoir une temporalité qui se limite à un passé proche, l’avènement du néo-libéralisme à la fin des années 1970, un présent continu et un futur immédiat.
La transparence semble lorsqu’on scrute les évolutions idéologiques, politiques et sociétales, aller de pair avec la modernisation des sociétés. Pourtant, comme évoqué précédemment, elle ne fait pas de manière évidente l’objet d’un consensus.
Ainsi il sera pertinent de voir que si la transparence apparaît comme un impératif dans la société moderne, sa concrétisation peine à s’imposer et ce autant dans sa réalisation concrète et technique que dans un contexte plus théorique et idéel.
De façon a explicité notre propos introductif nous verrons d’abord que la transparence est impérative dans la société contemporaine. Cependant celle-ci fait face à des réticences de la part de la machine étatique et de ceux-qui en sont les représentants.
Le besoin de transparence n’est pas un phénomène endogène. C’est un phénomène immanent à la démocratie. Il a cependant été renforcé par des contingences politiques, sociales et économiques.
La démocratie est rattachée au libéralisme. Seulement le libéralisme recouvre plusieurs domaines tels que la politique ou l’économie. C’est d’une certaine conception du libéralisme que la transparence émane en tant que revendication.
Le souci de transparence se manifeste dès l’Antiquité dans la cité d’Athènes. En effet les magistrats à leur sortie de fonction avaient l’obligation de faire approuver leurs comptes. Mais cette valeur disparaît pour ne réapparaître partiellement qu’à l’aube du XXè siècle.
Le libéralisme politique s’impose définitivement durant le XVIIIè siècle. Les Etats sont de plus en plus nombreux à adopter des constitutions devenant ainsi des Etats de droit. Le printemps des peuples en 1848 constitue un tournant en Europe où des situations insurrectionnelles pour plus de libéralisme apparaissent. Depuis les populations ont acquis de nombreux droits fondamentaux assurés par l’Etat. Ces droits obtenus les peuples ont eu alors la possibilité d’en demander plus. Plus tard, à la fin des années 1960 les médias de masse se multiplient et permettent l’accès à la population à plus d’information autant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Le néolibéralisme apparaît à la fin des années 1970 avec l’élection de M. Tchatcher au Royaume-Uni suivie de celle de R. Reagan aux Etats-Unis. Ce mouvement prône ”moins d’Etat”. Conjugué à l’extension des mass medias il braque les projecteurs sur l’Etat. La remise en cause de l’action étatique sur certains plans a certainement participé à l’apparition de premières demandes importantes de transparence vis-à-vis des gouvernants, leur légitimité étant remise en question et ne pouvant plus s’affranchir autant qu’avant du consentement des gouvernés. De plus le néolibéralisme s’inscrit dans la lignée des sciences économiques avec l’affirmation d’un marché auto-régulateur où l’information serait parfaite. Bien qu’elle ne le soit pas, ce paradigme a sans doute poussé la société civile a revendiquer le droit à l’information.
Les médias concourent eux aussi à la diffusion de l’information, ceux-ci se sont vus accordés depuis une soixantaine d’année une marge de manœuvre plus importante notamment avec leur privatisation. Cela leur a permis d’orienter et d’intéresser l’opinion aux thématiques d’information. La question n’est au final pas tant d’avoir l’information mais de pouvoir l’avoir si l’envie s’en déclare ; personne n’est obligé de s’intéresser à l’action étatique mais ceux qui s’y intéressent ont le droit de savoir. C’est un principe qui est dans le prolongement de la démocratie et permet de guider le citoyen dans l’un des seuls moments où la démocratie se joue, à savoir le vote.
Le principe de transparence est primordial quant à l’adhésion des citoyens aux politiques menés et à la légitimité d’un gouvernement. Joseph Stiglitz dans ”Globalization and its discontents” (2002) analyse sur le plan mondial le rôle des institutions économiques internationales. Il montre que ces institutions (particulièrement le FMI) prennent des décisions à huis clos puis les imposent par la force coercitive politique et financière dont elles disposent. Un ressentiment à l’égard de ces institutions est né dans la plupart des pays qui ont suivi des plans du FMI mettant l’existence de ce dernier en péril.
Si la transparence – re- naît avec le libéralisme, ce sont d’autres facteurs qui ont permis son imposition sur le devant de la scène politique.
L’érection de la transparence comme obligation morale ne va pas de soi. La transparence a bénéficié du terreau fertile de la crise pour questionner les prénotions politiques. La transparence a aussi bénéficié du formidable outil de communication et de diffusion de l’information apparu à la fin du XXè siècle : internet.
Les nombreuses crises économiques qui se sont succédé depuis l’imposition du libéralisme (Mexique 1994, Asie orientale 1997, Russie 1998, Argentine 2000, USA 2007, Europe 2008) ont ébranlé l’idée de la perfection des marchés. Du point des vue des citoyens et de la société civile ces crises économiques ont conduites à une remise en question de l’omniscience des Etats et de leur compétence. S’en est suivi une crise de confiance avec le sentiment d’être mal représenté puis celui plus récent d’être mal gouverné. Les gouvernés ont pris conscience de la nécessité de surveiller les institutions politiques et financières par des instances plus neutres. Les seuls à même de mettre en place ces institutions étaient jusqu’alors les Etats. L’échec probant des Etats et des marchés à s’auto-surveiller et à s’auto-réguler à amener les gouvernés et la société face à une aporie : quis custodiet ipsos custodes ? L’auto-gouvernement ne pouvant être mis en place, la volonté de diriger, de surveiller les gouvernements à conduit à une velléité de surveillance de ceux-ci.
L’autre élément qui est apparu lors de ces crises c’est l’interdépendance croissante des Etats et le transnationalisme des crises. Concomitamment s’est développé un autre phénomène de communication transnational : internet. Internet est apparu à la fin des années 1990 et s’est imposé comme le nouvel outil de communication, de transmission et de diffusion de l’information. Il a toujours été promu comme un endroit libre de l’influence des Etats même si (nous le verrons ultérieurement) cette pensée ne survit pas à la réalité des pratiques. Cet outil a facilité les mobilisations mondiales autour de certaines thématiques. L’instantanéité de l’information a aussi permis la réactivité des opposants à une cause ce qui permet souvent de susciter un engouement plus prompt et donc plus vigoureux.
Un autre acte majeur qui a été permis par l’internet et fondateur du très récent goût pour la transparence est la révélation de ”secrets” par les lanceurs d’alerte. Les lanceurs d’alerte ont insufflé une nouvelle dynamique aux mouvements en faveur de plus de transparence en rappelant que les Etats agissaient souvent en secret. Or dans un monde plus connecté où tout les gens sont plus interconnectés et interdépendants ce principe selon lequel les relations internationales ne peuvent se faire correctement que dans le secret tend à perdre de sa superbe. Le scandale des écoutes de la NSA révélé par Edward Snowden ont ébranlé la planète et ont révélé le double jeu qu’ont joué les Etats. Il est cependant amusant de noter que E. Snowden a trouvé refuge en Russie, pays qui n’est pas le plus démocratique au monde. Un autre élément intéressant réside dans le fait que les citoyens américains ont pu approuvé son action en tant que ”whistle blower” autant que la désapprouver sous prétexte qu’il serait un dissident et un traître. De quelque façon qu’on puisse qualifier son acte il n’a rien fait d’autre que de diffuser un savoir.
Nous avons vu que la transparence comme revendication existe depuis longtemps même si elle a mis un certain temps à s’imposer sur le devant de la scène. Cette valeur jouit cependant maintenant d’une certaine vigueur. Mais la mise en place de la transparence se heurte à un inconvénient majeur. En effet, pour se développer et s’institutionnaliser elle doit bénéficier d’un cadre légal et institutionnel idoine dont les plus à même de le mettre en place ne sont pas toujours les plus velléitaires. La machine étatique l’en entrave.
On peut voir une ébauche d’opposition de la société contre l’Etat. De nombreux facteurs explicatifs peuvent-être avancés, parmi ceux-ci on s’intéressera ici à la volonté étatique de monopoliser le savoir. Nous étudierons ensuite l’octroi par le peuple de la légitimité à gouverner à une minorité avec les tenants et les aboutissant que cela implique sur le plan de la transparence et du gouvernement des hommes.
L’Etat s’est toujours intéressé à sa population. Les partisans d’une vision contractualiste de la constitution des sociétés affirmeraient que cela se réside dans la nature philanthrope de l’Etat. Cependant on pourrait arguer que c’est dans le souci d’asseoir et de développer sa puissance que naît cet intérêt. Le savoir constitue un instrument considérable de puissance.
Les premiers recensements effectués l’ont été sous l’impulsion de l’Etat. Le but était de savoir quelle était la puissance démographique de l’Etat et de connaître qui devait payer l’impôt.
M. Foucault dans ”Surveiller et punir” (1975) démontre que tout savoir est un pouvoir. Le pouvoir coercitif repose sur la connaissance. De plus il pense le pouvoir non pas seulement comme interactionnel mais comme réticulaire et doté du don d’ubiquité. Cela explique que la transparence puisse apparaître comme un danger pour les gouvernants puisqu’elle dote les citoyens d’un savoir -et donc d’un pouvoir- sur les gouvernants.
La monopolisation du savoir par les Etats s’explique aussi sur le plan des relations internationales et de la géopolitique. L’action et la discussion diplomatique seraient ,selon les dires des principaux intéressés, impossible sans le sceau du secret. On a par exemple en ce moment un accord TAFTA (trans-atlantic free trade agreement) qui est en cours de négociation. Le contenu de ce traité est gardé secret sous prétexte de le préserver. Or des quelques points qui ont été divulgués beaucoup de gens se sont manifestés comme défavorable à ce traité. C’est sur ce point que le questionnement à propos de qui sont les principaux intéressés peut prêter à confusion. Les principaux interessés lors de la négociation d’un traité sont les Etats par le truchement de diplomates et négociateurs. Or si le but des Etats est de favoriser leurs populations, ceci devrait directement s’en référer au peuple. Si le but des Etats est de maintenir leur prédominance alors ceux-ci ne doivent rendre de comptes qu’à eux-mêmes.
On invoque souvent la raison d’Etat comme motif de censure de l’information. Mais le phénomène de globalisation en même temps qu’il a raccourci les distances et le temps à rapprocher les hommes sur bien des points. De nos jours un homme au bout du monde peut nous être sous bien des aspects plus familier que notre voisin(e) d’en dessous. Sur bien des points, si des principes de transparence avait présidé au gouvernement des hommes l’histoire récente en serait changé ; on peut citer la guerre en Irak comme exemple de projet de guerre contre de chimériques armes de destruction massive. Les Etats ont trop souvent des raisons que la raison ignore, malheureusement celles-ci ne sont que rarement le produit de la sentimentalité. La ”diplomatie d’alcôve” n’a plus lieu d’être à mesure que les peuples s’éduquent et s’élèvent intellectuellement. On peut reconnaître qu’il soit difficile d’accorder à la totalité d’une population la possibilité de prendre des décisions d’envergures internationales, en revanche il est difficile de défendre l’idée selon laquelle les décisionnaires étatiques n’ont de comptes à rendre à personne.
La monopolisation ou l’oligopolisation du savoir comme prérogative étatique est un élément constitutif majeur de la remise en cause d’une transparence partielle, substantielle ou totale. Mais pour bénéficier d’une telle prégnance il a fallu l’accord implicite de la population. Cet accord se concrétise avec l’octroi de la légitimité et de la souveraineté par les gouvernés (majoritaires) aux gouvernants (minoritaires).
Si certains ont dès l’Antiquité évoqués la démocratie comme tyrannie de la majorité sur la minorité, toujours est-il qu’une minorité est effectivement au pouvoir exerçant une forme de gouvernement non-démocratique sinon tyrannique. D’aucuns affirment alors que pour que l’exercice du pouvoir se fasse au mieux, celui-ci doit se faire dans les arcanes gouvernementale, à l’abri du jugement des électeurs.
La démocratie n’a rien de démocratique sinon périodiquement lorsque les citoyens sont appelés aux urnes. Une fois les résultat de l’élection donné le peuple n’a que rarement et dans d’extrêmes situations la possibilité de choisir une autre orientation. A bien des égards il ne choisit pas souvent une mauvaise orientation, les promesses ne sont juste pas respectées face à ”la réalité des faits”. Or cette réalité des faits, nous ne la connaîtrons in fine jamais. Tout est fait pour qu’on se garde de savoir et d’intervenir, c’est ainsi qu’on scientifise la plupart des domaines ayant traits au gouvernement des hommes.
C’est le citoyen qui en acceptant les lois, règles, décrets, traités et autres normes, légitime ipso facto le mal-gouvernement. Les causes de toutes tyrannies, aussi policées soient elles, viennent du consentement des hommes. E. de la Boëtie écrit à ce propos dans son ”Discours sur la servitude volontaire” ”Soyez résolus de ne plus servir, et vous serez libres”.
La démocratie ne peut se défaire du jugement des électeurs car c’est son principe directeur. Dévoyée de son sens la démocratie appelle ce jugement de façon périodique or c’est de sa continuité que résulte sa force.
De façon à modérer la véhémence des propos précédemment tenus il serait honnête de reconnaître que l’agitation des masses n’est pas toujours propice au gouvernement des hommes. Jusque récemment en France les projets de lois étaient étudiés en commission paritaire mixte et à huis clos. Ceci permettait notamment de modéré les postures partisanes et politiques des élus qui étaient alors beaucoup plus propice à s’entendre -sur les mauvais choix- et à trouver une solution politique à un problème.
On peut remarquer que les sociétés modernes ont pris en compte la nécessité de la transparence en démocratie. La loi joue un rôle primordial dans l’établissement de celle-ci, les médias aussi. On peut cependant s’inquiéter de la concentration des organes de presse au sein de grands groupes (Bolloré, Lagardère…) dont la collusion avec les intérêts du pouvoir ne fait pas de doute. La presse a de plus en plus tendance à s’ériger comme chien de garde du pouvoir étatique. La lecture des différents supports de presse laisse apparaître une diffusion de l’information parcellaire, au gré des intérêts et intrications de la presse et du pouvoir faisant alors soit de la diffusion massive d’information en s’affranchissant de l’objectivité nécessaire à toute analyse s’ auto-proclamant neutre, soit de la rétention d’information.
Ainsi de plus en plus et avec la juxtaposition du principe de visibilité et de lisibilité les données transmises à l’attention des citoyens sont quantitatives plutôt que qualitatives.
Nous avons ici essayé d’analyser le phénomène de transparence dans les sociétés modernes. Ainsi il a été vu que la transparence dans les sociétés modernes n’est pas seulement phénoménale, elle est le produit de la démocratisation et de la modernisation des sociétés. Celle-ci pour se répandre a aussi bénéficié de facteurs conjoncturels tels que la crise et le développement d’internet.
Cependant elle fait face à un certain nombre de limites et d’obstacles autant théoriques que pratiques. Il est apparu que l’Etat émet quelques réticences à démocratiser l’information au nom de différents principes plus ou moins avouables. De plus nous avons montré que dans une certaine mesure la démocratie ,du moins sa concrétisation moderne autant que traditionnelle, n’a pas vocation à diffuser la totalité voire une partie substantielle de l’information. De par ce fait et sur certains aspects la société et l’Etat apparaissent comme des institutions antagonistes qui constituent une aporie à savoir auquel doit être donné la priorité et selon quel(s) principe(s).
Spinoza nous dit qu’ ”il n’y a pas de force intrinsèque de l’idée vraie”, la vérité ne va pas toujours de soi. Ainsi on peut se questionner comme évoqué précédemment non pas sur la qualité de l’information mais sa quantité. Les chiffres ne parlent en réalité jamais d’eux-mêmes et un habile rhétoricien pourra leur faire dire ce que bon lui semble. La transparence si elle apparaît comme éminemment souhaitable et positive ne doit pas pour autant nous fourvoyer dans une foi aveugle en l’information. Il ne faut pas oublier que l’information a maintes fois était un outil d’émancipation ; elle s’est aussi avérée être dans certaines circonstances dont nous somme beaucoup moins éloignés que nous le pensons un formidable outil d’asservissement et de propagande.
References
- Arendt, Hannah (2005), Le système totalitaire, Paris, Seuil.
- Bissot, Hugues (2013), La transparence sacrée ou le secret révélé, Droits de l’homme et dialogue interculturel, [En ligne], [http://www.dhdi.free.fr/recherches/etudesdiverses/index.htm], (juin 2013).
- Bourg, Dominique, et Kerry Witheside (2010), Vers une démocratie écologique, le citoyen, le savant et le politique, Paris, Seuil.
- Marzano, Michella (2013), « Publicisation de l’espace privé et privatisation de l’espace public », Raison publique, 26 octobre, [En ligne], [http://www.raison-publique.fr/article644.html], (20 avril 2014).
- Zarca, Yves Charles (dir.) (2010), Repenser la démocratie, Paris, Armand Colin.